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Le souterrain du château

Le terme de château fort évoque de lui-même l'idée d'oubliettes et de souterrains. Cette oubliette où de méchant seigneurs vouaient à une mort atroce d'innocentes victimes. Ces souterrains où s'entassaient de fabuleux trésors, sont la garde de redoutables reptiles. Que d'imaginations se seront ainsi enfiévrées, au cours des siècles, sur ces légendes ! La réalité, ici comme ailleurs, est bien différente. Les prétendues oubliettes répondaient, en fait, d'ordinaire, à des exigences diverses de la vie de château. Les unes étaient de profondes citernes où rentraient les eaux de ruissellement, complément appréciable, en temps normal, de l'eau de puits ou d'adduction, devenant indispensable en temps de guerre, lorsque s'entassaient dans un espace restreint bêtes et gens. D'autres constituaient des sortes de silos, destinés à garder le blé ou le seigle apporté par les tenanciers après la moisson ou dû par les métayers, jusqu'à ce qu'il soit vendu ou utilisé sur place, d'importantes réserves étant faites aux époques troublées. Enfin, à y mettre le nez de près, on s'est aperçu que telle de ces excavations n'était autre que des... fosses d'aisance. Il serait malséant d'insister.

Les souterrains, eux étaient bien réel, encore que leur destination ne fût pas de receler des trésors, et il n'était guère de château fort qui n'en comportât un. Des bourgs fortifiés en possédaient également. CRAPONNE, pour sa part, en avait au moins deux, qui semblent avoir été construits en même temps que les murailles et non loin des portes : l'un, encore utilisable au début du siècle, aboutissait, au Nord-Ouest, au village d'OLLEAS ; L'autre, au sud-est, aboutissait à la maison isolée de FABAISE, appelée autrefois la BASTIDE, terme qui s'applique d'ordinaire à une maison fortifiée. Il est probable que l'ancien château fort, détruit dés le XVI° siècle, avait aussi le sien.

On pourrait dire que les souterrains faisaient partie intégrante de la défense des châteaux et des bourgs, au même titre que les murailles, les tours, les créneaux et les mâchicoulis. Il s'agissait, en cas de siège, de communiquer avec le dehors, en envoyant ou en recevant des messagers ; il s'agissait aussi, si l'ont tenté une attaque inopinée sur les arrières de l'ennemi, de façon à semer la panique dans ses rangs. Tout cela exigeait, il va de soi, que l'issue du souterrain, qu'elle se situât en plaine campagne ou dans une maison isolée, fût soigneusement dissimulée.

On savait depuis longtemps ; on serait tenté de dire « depuis toujours » ; qu'il existait un souterrain à St-Pal et que l'entrée s'en trouvait dans les caves du château ! Mais ses propriétaires, on le comprendra aisément, n'avaient eu aucun intérêt à le clamer sur les toits. Tout changea au siècle dernier. Après l'achat par la municipalité du corps de logis principal, lors des travaux d'aménagement du presbytère, quelques jeunes gens purent vérifier le fait et parcourir assez péniblement, une bougie à la main, quelques mètres d'un tunnel humide et encombré, tout ce que permettait la prudence sans trop risquer un éboulement. Quelques années plus tard, le curé d'alors, le bon M. MIOLLET, inquiet sans doute de cette « bouche d'ombre » ouvrant sur l'inconnu et craignant que quelque imprudent ne s'y aventurât à son insu, le fit murer.

Et la sortie ? La tradition assurait bien que le souterrain débouchât dans les environs du BREYRE ou du BES, mais nul ne savait exactement où. Cette tradition se mêlait curieusement à l'histoire d'un trésor caché quelque part par les derniers seigneurs de St-Pal, non loin de CHANDIEU, au pied d'un arbre, à l'orée d'un petit bois. Que d'espoirs, de recherches, de coups de pioche cette croyance aura suscité au siècle dernier, sans que personne ne fasse trop ouvertement état de sa déconvenue ! En fait, rarement légende cadra si mal avec la réalité. Le dernier possesseur de la seigneurie, le comte de St-DIDIER, n'habitait pas son château de St-Pal, mais celui d'Aurec. C'est là qu'il fut arrêté. Eut-il voulu cacher auparavant quelque trésor, à supposer que les libéralise de sa vertueuse épouse et les siennes propres lui en eu laissé un, il en aurait été bien empêché, tant son arrestation fut brusque et tant, au cours des semaines précédentes, ses faits et gestes étaient étroitement surveillés par un espion introduit au sein de la domesticité.

A la fin de la dernière guerre, trésors cachés et souterrains étaient bien oubliés, lorsqu'un habitant du BREYRE, JEAN-LOUIS BOUCHET, s'aperçut par hasard qu'au pied de l'escarpement qui dévale du village vers CHANDIEU, parmi des masses de rochers, une sorte de dalle, au fond d'un trou, sonnait creux. N'était-ce pas la sortie du mystérieux souterrain ou la partie supérieure d'un dolmen enfoui ? La maladie empêcha hélas, notre sympathique compatriote d'exploiter sa découverte. Le relais fut pris par des garçons du village, à qui leur maître d'école d'alors, M. ESTABLE, inculquait, avec l'amour de leur pays, le culte des choses du passé. Et il leur fallut certes, l'enthousiasme de la jeunesse, excité par l'attrait de l'inconnu, pour dégager cette entrée, pénétrer dans l'orifice ainsi mis à jour et explorer sur plusieurs mètres le tunnel qui passait carrément sous le lit de CHANDIEU et remontait ensuite en direction de la GRENOUILLE. Maintes heures nocturnes furent consacrées à ce travail, maintes piles de lampe s'y consumèrent. Cependant le passage devenait de plus en plus encombré, la progression s'avérait dangereuse, et nuit après nuit l'espoir d'une trouvaille sensationnelle s'était amenuisé. Finalement nos sondeurs d'abîme renoncèrent, tout fut abandonné, et la cavité de l'orifice servit, tout au long des années suivantes, de dépotoir aux habitants du BREYRE : boite de conserves, bouteilles, objets hétéroclites s'y sont entassés à qui mieux.

Il ne serait pas sans intérêt pourtant de reprendre méthodiquement l'exploration de cette sortie du souterrain seigneurial, et d'étudier notamment la construction de la voûte sous le lit de CHANDIEU. Il y a là quelque chose qui mériterait amplement d'être vu par tous ceux que passionnent les vestiges du passé. Souhaitons donc qu'à défaut des jeunes d'ici, St-Palous ou touristes, qui ont d'ordinaire d'autres préoccupations en tête, un groupe de scouts ou de campeurs, comme on en voit ailleurs, dans la région de CHALENCON notamment, occuper les loisirs de leurs vacances à débroussailler de vieux chemins ou restaurer de vieilles maisons, viennent un jour ou l'autre, en usant de toute la prudence voulue, aider St-Pal à mettre en valeur ce détail curieux de son patrimoine.

En attendant, d'ores et déjà, quelques remarques se dégagent.

La première, c'est que l'endroit est admirablement bien choisi. Nulle part ailleurs, dans le même périmètre du château, on n'aurait pu en trouver l'équivalent. Ici, en effet, le cours de CHANDIEU est profondément encaissé, et la vu est complètement bouchée du côté de St-Pal. Deux rochers disposés à angle droit, dont l'un semble retaillé à dessein, contribuent encore à dissimuler l'entrée. Dans la direction opposée, d'autres masses rocheuses faisaient naguère écran et pouvaient éventuellement servir à protéger tireurs et sentinelles veillant sur la sécurité du débouché.

Sur ce dernier point, c'est hélas ! L'imparfait que nous avons dû employer. A la fin de l'été de 1970, en effet, les bulldozers des Ponts et Chaussées se sont littéralement déchaînés sur ce coin si pittoresque. Avec un vandalisme éhonté, sous prétexte d'élargir le sentier, fort bien tracé pourtant, permettant à l'occasion aux vaches du village d'aller s'abreuver à CHANDIEU, ils ont tout saccagé, déraciné sans vergogne d'énormes blocs, qui sont allés rouler lamentablement jusque sur la rive. C'est par miracle que l'entrée du souterrain n'a pas elle-même définitivement obstruée par un amas de terre et de pierraille.

La seconde remarque, c'est que la difficulté présentée par le franchissement de CHANDIEU, le souterrain débouchant sur la rive droite, à quelques mètres du ruisseau, a été non-moi habilement résolue. On serait tenté de dire, à cet égard, qu'un assaillant qui aurait fait fonctionner ses petites cellules grises, chères à HERCULE POIROT, aurait pu soupçonner la direction du souterrain et le lieu approximatif de sa sortie. CHANDIEU offrait, en effet, autrefois au pont des LEVAS une configuration surprenante, dont on retrouve encore les traces sous les rectification récente de la route et du cours d'eau. Il semblait se diriger d'un trait, non vers son lit normal, mais vers un bief, quitte à revenir ensuite à angle droit vers se lit, au bout de quelques mètres, grâce à l'ouverture d'une vanne. De ce bief on ne saisit guère l'utilité : il n'a jamais alimenté de moulin et va se perdre en direction de la PLANCHE du BRANDY-BAS ; taillé en plein roc comme il l'est, vis-à-vis du BREYRE, il a dû exiger des travaux correspondant mal à des services d'irrigation de prairies au demeurant fort humides. L'explication se présente soudain : pour creuser un souterrain dans le lit de CHANDIEU, pour en colmater les fissures, en cas d'infiltration des eaux, il fallait de toute nécessité détourner un temps le cours du ruisseau. C'est à quoi devait servir, à l'origine, ce bief.

Dernière remarque : le souterrain empruntait à peu près exclusivement le domaine propre des seigneurs de St-Pal. A sa sortie du château, il traversait ce que le cadastre nomme encore le CLOS du château, terme englobant le petit communal - aujourd'hui goudronné - communément appelé l'ARGENTIERE. Là commençaient les terres de la métairie seigneuriale de MONCLERGUE, maintenant la GRENOUILLE, mais le recensement de 1886 emploie encore le terme ancien. Ces terres s'étendaient même, aux LEVAS, sur la rive droite de CHANDIEU, où se remarque un profond canal d'irrigation creusé là sans doute pour lui permettre d'absorber, le cas échéant, le reste des eaux du ruisseau. Le domaine de MONTCLERGUE touchait presque, au Midi, la PLANCHE du BRANDY-BAS. Ainsi c'est en toute tranquillité, sans avoir à empiéter sur les biens de quiconque, que les seigneurs de St-Pal ont pu faire aménager, et, s'il y avait lieu. Réparer le souterrain. On se demandera même si ce n'est pas dans ce dessein qu'ils avaient acquis le vaste domaine de MONTCLERGUE, dont le nom indique à l'évidence qu'il était primitivement la propriété d'un particulier. MONTCLERGUE, déformé ensuite en MONCLAIR par suite de la chute de la finale, terme qui appelait de lui-même une étymologie populaire fort différente et plus pittoresque,

correspond, en effet, tant par sa position que par la forme de son nom, à MONTALET et doit s'interpréter comme le domaine situé sur une hauteur d'un certain Clergue, Clergue étant la forme méridionale du nom d'homme CLERC, LECLERC, etc. Il ne sera pas sans intérêt de noter que, tout comme CHAZOU, CHATURANGES et aussi EPINASSOLES ce domaine possédait un breuil, que le cadastre situe à proximité de CHANDIEU, en amont de la PLANCHE du BRANDY-BAS.

On se demandera aussi si le souterrain ne possédait pas, en cours de trajet, une issue secondaire, soigneusement dissimulée, donnant accès à la métairie de MONTCLERGUE ou à ses abords immédiats. On devine sans peine de quelle utilité aurait été, en temps de guerre, cette issue.

N'existait-il à St-Pal que le souterrain du château ? Le bourg fortifié n'avait-il pas le sien ? L'exemple de CRAPONNE interdit de répondre à priori par la négative. De fait, en aménageant la salle basse de sa résidence d'été, autrefois maison des TRUCHARD DU MOULIN puis des DANCE, à proximité de la porte et de la tour sud, notre compatriote, M. JOSEPH GERPHAGNON, a-t-il eu, voici quelques années, la surprise de découvrir un orifice, pourvu de marches, qui s'enfonçait profondément dans le sol, mais avait été comblé, semblait-il, de terre rapportée. Ne s'agissait-il pas du point de départ d'un autre souterrain, que celui-ci ait rejoint le précédent ou qu'il ait eu son propre issue ? M. GERPHAGNON se posa la question. On peut se la poser avec lui. Nos aïeux étaient prudents, et mieux valait deux sûretés qu'une.

Site de Saint Pal de Chalencon (43500)
réalisé par Fabien PRORIOL
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