Quelques lecteurs de l'Almanach de Renouveau de 1968, s'étant intéressés à la douloureuse histoire de la dernière des ROCHEBARON, ont manifesté le désir de savoir ce qui se passa au lendemain du 23 septembre 1653. Il est aisé de leur donner satisfaction.
Antoine de ROCHEBARON ne devait plus revoir son château de St-Pal. Elle languit quelques semaines encore, puis s'éteignit au début de février. Isabelle de la BAUME, la seconde vicomtesse de POLIGNAC, l'avait précédée de peu dans la tombe : Elle était morte le 28 janvier. On comprend sans peine, que des deuils si rapprochés aient affermi la petite Nette dans sa résolution de quitter un monde qui lui était apparu sous des traits si hostiles. Cependant Louis-Armand de POLIGNAC qui n'avait eu de sa seconde épouse que deux filles et un fils de santé précaire, se devait d'assurer l'avenir de sa maison. Il se remaria donc le 17 janvier 1658. La nouvelle vicomtesse, Jacqueline du ROURE, ne ressemblait guère aux deux autres. De santé robuste, elle devait atteindre l'âge, fort avancé pour l'époque, 80 ans, mais naturellement mondaine et dépensière, elle résista mal aux tentations de la cour et se trouva impliquée dans la scandaleuse affaire des Poissons ; exilée à LAVOUTE, elle y mourut en 1721. Elle avait donné à son époux deux fils: Gaspard-Armand qui succéda à son père et Melchior qui devint archevêque d'AUCH et cardinal, académicien distingue et autour du célèbre poème en vers latins, l'Anti-Lucrèce.
Antoinette de ROCHEBARON avait vu juste : Gabrielle, la plus jeune de ces trois filles, épousa, bien peu après sa mort, Louis - Armand de la ROCHEFOUCAULD, frère cadet de Louis de la ROCHEFOUCAULD, comte de LAURAC, marie à Catherine des SERPANTS. Mais le contrat, signé le 6 avril 1654, ne fut dressé ni à St-Pal ni par Maître CHASTELLE. Que devint alors la seigneurie de St-Pal ? Nous y arrivons. Antoinette de POLIGNAC, la petite Nette, prit effectivement le voile à PARIS, chez les Carmélites de la rue du Bouloi, le monastère si cher à la reine de FRANCE, Marie Thérèse d'Autriche. Elle y mourut le 13 novembre 1690. La dot qu'elle y avait apportée était princière. Devenue, en effet, l'unique héritière des biens qu'Antoinette de ROCHEBARON avait réservés à sa fille Suzanne, et notamment des seigneuries de St-Pal et de TIRANGES, elle les abandonna à son père, à une condition : c'est qu'il verserait de sa part au CARMEL une somme de 75.000 livres. Ce qu'il fit en 1669. nul doute que cet arrangement ne répondît, par delà le tombeau, au voeu le plus cher de la dernière des ROCHEBARON : Celui qu'en s'éteignant l'antique race puisse, en un suprême geste de réparation et d'hommage, faire don à dieu et à son église de cette terre de St-Pal qu'elle avait tant aimée.
Ainsi rachetée en partie par les POLIGNAC la seigneurie de St-Pal restait, somme toute, dans la famille:Les POLIGNAC ne continuaient ils pas la branche aînée des CHALANCON, comme les ROCHEBARON en continuaient la branche cadette, les uns et les autres descendants de Pierre de CHALANCON, fils de Guillaume et de Walpurge de POLIGNAC ? Mais tout changea une cinquantaine d'années plus tard. La vie à la cour était dispendieuse, les plus riches ne tardaient guère à s'y endetter, et pourtant les POLIGNAC se devaient d'y tenir leur rang, un rang de premier plan (on connaît à cet égard, l'amitié qui unira plus tard l'infortunée Marie Antoinette à la vicomtesse de POLIGNAC, devenue duchesse en février 1780). Gaspard Armand de POLIGNAC dut se résigner à abandonner à ses créanciers une partie de ses biens patrimoniaux. Les terres de St-Pal en faisaient partie..
Signe de temps ! Celle-ci fut acquise en 1719 par l'un de ces parvenus de basse extraction qui pullulèrent sous la régence, ABRAHAM PEYRENC, fils d'un perruquier du VIGAN, qui venait de réaliser une fortune scandaleuse en trafiquant des actions de la Compagnie des Indes. La honte, par bonheur, dura peu. Le fils d'ABRAHAM, François, seigneur de MORAS, à qui les millions de son père (une vingtaine) avaient permis de se parer des titres les plus ronflants, revendait, dès 1751, la seigneurie de St-Pal, qui continua de passer de main en main, dans l'indifférence générale. C'en était bien fini, depuis Antoinette de ROCHEBARON, des liens personnels, respectueux et confiants, qui, durant des siècles, avaient uni St-Pal à ses seigneurs ! La révolution ne ferait, à cet égard, que consacrer un divorce depuis longtemps consommé.
A dire vrai cependant, la noblesse des successeurs de François de MORAS était plus authentique. Celle des REYNAUD de MONTS, les nouveaux acquéreurs, remontait même au XIVe siècle. Mais la seigneurie de St-Pal ne resta guère aux mains de cette famille. En 1762 (11 ans plus tard) Gaspard REYNAUD de MONTS la revendit au représentant de la famille de RICHARDIE, Jean ASTORGIAS, chevalier. A la mort de ce dernier, elle échut par héritage à Hugues de GENESTET, comte de St-DIDIER, jeune et brillant officier de l'armée royale, qui devait, à la révolution, porter courageusement sa tête sur l'échafaud, pour le service de son roi. Quelques années auparavant, il avait cédé à la paroisse de St-Pal une bande de terrain pour y construire la nouvelle sacristie. En souvenir de ce don, et afin d'honorer en sa personne les innocentes victimes de la Terreur, la paroisse eut à cœur, jusqu'à la veille de la seconde guerre mondiale, de faire célébrer chaque année, le dernier dimanche de janvier, une messe de requiem pour le comte de St-DIDIER. émouvant exemple de fidélité envers un passé séculaire !
Le château de St-Pal et les métairies qui en dépendaient furent déclarés bien nationaux. Mis en vente, ils furent achetés à vil prix par des marchands de biens qui ne tardèrent pas à les revendre à des acquéreurs de l'endroit, moins dépourvus d'argent que de scrupules. Une nouvelle aristocratie se mettait en place, celle des plus forts imposés, suivant l'expression d'alors, presque tout enrichis des dépouilles des spoliés. Une page de l'histoire de St-Pal était définitivement tournée. La suivante s'ouvrait sur les guerres sanglantes de la Révolution et de l'Empire, prélude aux hécatombes du XXe siècle.