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Les anciens cimetières

Le sujet paraîtra austère. Mais ce que le poète affirme de la grande patrie, n'est-il pas vrai aussi de la petite :

C'est là cendre des morts qui créa la patrie... ?

Si tous ceux qui ont vécu à ST-PAL au cours des siècles pouvaient se rassembler, ainsi qu'au dernier jour à l'appel de l'Ange, quelle immense prairie ne faudrait-il pas pour les accueillir ! Et comme le présent nous semblerait insignifiant à côté de ce formidable passé ! Aussi bien le culte que nos contemporains portent à leurs disparus, et qui se manifeste d'une façon si émouvante à la Toussaint, est-il à mettre, avant toute autre chose, à l'actif de notre temps. Ne dirait-on, pas que, se sentant confusément emporté vers de redoutables abîmes, par les tourbillons d'une évolution que l'humanité qui l'a déclenchée, ne peut contrôler, chacun de nous éprouve le besoin instinctif de prendre appui sur sa terre, sur ses morts ?

On savait depuis toujours qu'il avait dû exister un cimetière sur l'étroite plate-forme qui précède le portail Ouest de l'église. Il suffisait, en effet, de creuser un peu çà et là pour découvrir des ossements, et les travaux de réfection du mur de soutènement en avaient encore mis au jour. A cela rien d'étonnant : les cimetières primitifs se trouvaient d'ordinaire à proximité, voire à l'entrée même de l'église. Mais quelle était l'importance de celui-ci ? N'était-il pas bien exigu pour toute une paroisse ?

Vers la fin de l'année 1967, les travaux d'aménagement du chauffage de l'église ont brusquement ramené l'attention sur ce problème. En pratiquant une excavation dans le sol du réduit attenant à l'église (réduit qui servait jadis à remiser bancs et chaises) les ouvriers ont rencontré, non pas un lieu ordinaire de sépulture, mais ce qu'il faut bien appeler un véritable chantier : une quantité surprenante de squelettes était alignée, serrés les uns contre les autres, sur plusieurs rangées superposées. Ce charnier, qui commençait à l'air libre de la plate-forme, se prolongeait (on en eut la preuve en ménageant une bouche d'aération) au-delà même du mur de l'église, sous le clocher actuel. Aucun doute possible, tous ces morts, dont les restes remplirent un camion lors de leur transfert au cimetière, avaient été enterrées, dans cette partie de l'ancien cimetière, non pas successivement, mais en même temps. A la suite de quelle effroyable calamité ? Une épidémie, une peste ? Mais les épidémies durent des semaines, voire des mois. Un combat particulièrement meurtrier ? La présence d'ossements d'enfants et de femmes s'opposait à cette hypothèse. Le plus vraisemblable parait être un massacre atroce de population civile.

A quelle époque, et dans quelle circonstances ? Reprenons le problème d'un autre biais. Le prolongement du charnier sous le clocher indique avec évidence que le cimetière devait comprendre toute la partie ouest de l'église actuelle, l'édifice primitif étant certainement beaucoup moins étendu qu'aujourd'hui. Lorsqu'on l'a agrandi, en particulier par la construction de la dernière travée et de la tour du clocher, on a emprunté pour cet agrandissement une partie du cimetière. Le fait, au premier abord, peut surprendre. Il est certain que les anciens en usaient beaucoup plus familièrement que nous avec les morts. C'est ainsi qu'à CRAPONNE le mur d'enceinte et le fossé construits à la fin du XVéme siècle le furent, au Sud de l'église, à l'intérieur même de l'ancien cimetière, ainsi coupé en deux. Et les agrandissements de l'église ont également mordu sur le cimetière.

Il en alla de même à USSON. L'église ST-SYMPHORIEN, la seule subsistante des deux églises primitives, étant entourée de trois côtés par le cimetière paroissial, ne put être agrandie, au cours des siècles, que par des empiètements successifs sur ce cimetière, lequel finit par être transféré de l'autre côté de la route de ST-PAL, sur l'ancienne Place du Monument aux Morts et les terrains voisins.

A quelle époque remonte donc la tour du clocher, surélevée dans la suite de deux mètres en 1864 pour recevoir l'horloge et pourvue peu après de sa flèche ? On peut sans erreur la fixer à la fin du XVème siècle. La reconstruction du château dut être précédée de peu par l'agrandissement de l'église et l'édification du clocher actuel. La preuve nous en est fournie, presque aussi sûrement que le ferait une date, par le blason qui subsiste encore sous la tribune. Ce blason est, en effet, celui des CHALANCON écartelés de celui des ROCHEBARON. Or, une seule génération a porté ces armes : ce sont celles de Louis de CHALANCON, cadet de la famille, et de son épouse Antoinette de ROCHEBARON, devenue seule héritière de sa maison par la mort prématurée de son près GUIGUE, tué en 1424 à VERNEUIL, dans un combat contre les Anglais. Les conversations matrimoniales conclues entre les jeunes époux stipulaient, ainsi qu'il arrivait fréquemment dans un cas de ce genre, que leurs enfants relèveraient le nom ou les armes des ROCHEBARON. Et, de fait, c'est bien le blason des ROCHEBARON que l'on voit un peu plus loin sous la dernière travée, fort surbaissé, de la nef Sud, ainsi qu'au sommet de l'escalier d'honneur du château.

Louis de CHALANCON dut mourir vers 1490. La tour du clocher était donc terminé à cette date. Le charnier au-dessus duquel elle fut en partie construite remonte ainsi à la guerre de Cent ans. On n'ignore pas quelle désolation semèrent à cette époque, dans notre malheureux pays, les Grandes Compagnies, qui pillaient, saccageaient, massacraient tout sur leur passage. ST-PAL avait malheureusement le funeste privilège d'avoir son territoire traversé par deux grandes routes conduisant au PUY et dans le MIDI : la voie romaine LYON-TOULOUSE, venant de St Rambert par ESTIVAREILLES et contournant BOST-BUISSON pour atteindre PONTEMPEYRAT, et l'ancienne voie gauloise, devenue grand chemin du Pèlerinage, décrite par AYMARD, tondant du Nord, par LORETTE, BOISSET-HAUT, LAPRAT et VOREY, vers le PUY. Sur cette dernière estrade passèrent notamment des bandes de routiers en 1364 et 1389. C'est probablement à eux que fut dû cet effroyable massacre, où périront sans doute, en plus de la population civile, des hommes d'armes venus à leur rencontre. Le terrier d'Anne DAUPHINE de 1420 nous révèle, par comparaison avec le terrier précédent auquel il renvoie, que dans l'intervalle d'une centaine d'années la population de BOST-BUISSON et de la MONTZIE avait considérablement diminué. Du FEVET, notamment, il ne restait plus que des masures appartenant aux habitants de la MONTZIE. Ces faits éclairent d'un jour sinistre l'histoire de la guerre de Cent ans dans nos régions.

Après la construction du clocher sur l'emplacement du cimetière primitif, celui-ci fut évidemment abandonné. Le nouveau fut établi à la Terrasse, sur le terrain occupé aujourd'hui par le bassin, le monument aux morts, la croix et la pâté de maisons qui se prolonge jusqu'à l'Hôtel FAURE. De l'étendue de ce second cimetière on se rendra exactement compte en tournant le dos au magasin du Casino. Bien que proche du rempart, l'endroit, exposé en plein Nord, n'était pas habité. Un peu plus loin seulement, une maison ou deux s'étaient construites à côté de la chapelle de Notre Dame Hors la Ville et de la croix du Pirou, encore visible, l'une et l'autre témoins, semble t'il, de la christianisation de pratiques religieuses populaires. De l'enceinte devenue trop étroite, c'est vers le Sud et l'Ouest, mieux protégés, que les faubourgs avaient débordé, au BUIDERON, aux Cannes, au Clos du Château et dans le quartier actuel de l'Hôpital.

Durant trois siècles des générations sont venues dormir là leur dernier sommeil. Cependant ce cimetière n'était pas le seul lieu d'inhumation. Le clergé et les familles de bonne bourgeoisie continuaient à être enterrés dans l'église paroissiale, près des Fonts baptismaux, les VININT dans la chapelle de Notre-Dame. Tout compte fait, cet emplacement n'en paraîtra pas moins assez étroit, en égard à la population d'alors. Mais il va sans dire qu'il ne comportait ni concessions ni tombeaux, seulement de simples croix, et qu'au bout de quelques années la terre se rouvrait pour accueillir de nouveaux occupants. Cet état de choses persistera d'ailleurs longtemps dans le cimetière de Sainte Reine.

Le transfert du cimetière de la Terrasse s'accomplit, à ST-PAL comme ailleurs, tout au début du XIXème siècle, en exécution d'un décret du Premier Consul, ordonnant l'éloignement des cimetières des lieux habités. A la suite du passage du préfet de la HTE-LOIRE, le Conseil municipal se préoccupa de la question dans sa séance du 24, Frimaire de l'an 9 (14 décembre 1800). Décision fut prise d'acheter un terrain pour y établir le nouveau cimetière et, pour subvenir aux frais, de vendre la moitié de l'ancien « à la partie orientale », tandis que l'autre partie servirait à agrandir la place publique « trop petite pour contenir les bestiaux les jours de foire et marchés » (on le croit sans peine).

Cependant le 29 Fructidor an 10 (16 Septembre 1802) rien n'était encore fait. Le Conseil revint, ce jour-là, sur un point de sa délibération précédente : au lieu d'acheter un terrain, on utiliserait, par un souci d'économie, une portion du communal de Ste Reine. Le nouveau cimetière aurait une étendue de 8 ares (un peu moins d une cartonnée) ; le sol en serait "fouillé et miné à la profondeur nécessaire", et la terre du cimetière actuel y serait "transportée par les habitants de la commune et par corvée volontaire". Cette dernière mesure on le prend, était inspirée par le respect pour cette terre imbibée de tant de sang, où s'étaient dissous tant de corps. Enfin les pierres du mur de clôture seraient pareillement transportées à Ste Reine et utilisées dans la construction du nouveau mur, qui devait avoir une toise (deux mètres environ) de hauteur.

Mais le 28 Nivôse an II (17 Janvier 1803) le Conseil remarquait, non sans quelque impatience, que ses délibérations concernent tant le transfert du cimetière que la réduction des parts et l'établissement d'une fontaine publique "étaient restées dans le bureau de la préfecture, sans être renvoyées avec l'autorisation exigée par la loi" ; Le budget municipal n'avait pas davantage été approuvé, l'ironie administrative, on le voit ne date pas d'aujourd'hui ! En conséquence, le Conseil demandait au citoyen maire de faire "d'humbles remontrances et pétition au citoyen sous-préfet" afin que cesse un état de choses si préjudiciable aux intérêts de la commune.

On peut penser que cette démarche eut son effet et que les travaux de transfert commencèrent peu après. La partie orientale de l'ancien cimetière ayant été mise en vente, elle fut achetée comme terrain à bâtir par les familles FAVIER et THEOLEYRè. Il n'est pas surprenant qu'en y creusant fondations et caves on ait découvert depuis force ossements. Tous les restes de tant de générations n'avaient pu, bien sûr, être transférés dans le nouveau cimetière.

La planche du cadastre de 1841 nous montre que ce nouveau cimetière fut bien établi en conformité avec le projet de l'an 10. Resserré entre la route de BAS et les propriétés voisines, n'occupant que la majeure partie d'une avancée du communal qui devait constituer précédemment une sorte de carrefour, il ne dépassait guère en superficie le cimetière abandonné. Cette étendue pouvait suffire un temps. Mais en irait-il de même lorsqu'on voudrait y établir des concessions, dont le besoin un peu partout se faisait jour.

Le Conseil municipal le comprit. Le 15 Mai 1857, il approuva le projet du maire, Michel GERPHAGNON, tendant à "donner au cimetière une forme régulière en prolongeant de 25 mètres le mur du Nord (longé par la route) sur la parcelle du communal (encore subsistante) au levant, et de 45 mètres le mur du MIDI dans la terre de l'Hospice". L'étendue du cimetière en serait presque doublée et il deviendrait possible d'y ménager des concessions.

Le Conseil vota donc un crédit de 500 Francs, en espérant une subvention proportionnelle de la préfecture. Le terrain fut acheté et les travaux se trouvèrent terminés à la fin de 1858. On s'occupe alors des concessions destinées à recevoir des tombeaux de famille qui, deviendraient "un embellissement pour la localité et un encouragement à la piété envers les morts".

Le 25 février 1859, le Consei1 fixait le prix des concessions perpétuelles à 20 Francs le mètre carré, des trentenaires à 10 Francs, des temporaires à 5. Le Préfet approuva ces décisions en 1852. Les premiers emplacements furent achetés par la Veuve GARDON, les héritiers de Jean-Léonard VIOU et Jean-Louis PALEYDIER de BOISSET-HAUT. Vinrent ensuite les Religieuses de la Croix et les familles SALETTE et DANTONY.

En défendant son projet, Michel GERPHAGNON avait remarqué qu'en dépit des concessions il était peu probable que le cimetière ne deviendra jamais insuffisant, la population de la commune ne dépassant pas 2500 habitants, mais que dans le cas contraire "un nouvel agrandissement se ferait à peu de frais dans la terre de l'Hospice". Sur le premier point, la prévision du maire se révéla fausse. Cinquante ans plus tard les concessions s'étaient à ce point multipliées que l'espace réservé aux fosses communes devenait anormalement réduit. Or, remarquait le Conseil municipal le 24 mai 1908, "il n'est pas moins contraire au respect dû aux morts qu'à la salubrité publique de procéder à des exhumations dans un délai trop rapproché des inhumations". Il se prononça donc pour un nouvel agrandissement par l'achat de 21 ares de terrain à l'administration de l'Hospice, moyennant la somme de 800 Francs.

Notons seulement, en terminant, que toutes les familles de ST-PAL, et quelques autres possédants maintenant leur tombeau, on peut penser que cette véritable cité des morts qu'est devenu notre cimetière aura désormais reçu, d'agrandissement en agrandissement, d'embellissement en embellissement, son modelé définitif.

Site de Saint Pal de Chalencon (43500)
réalisé par Fabien PRORIOL
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