Le document le plus ancien et le plus émouvant que nous possédons sur ST-PAL n'est pas un vieux manuscrit écorné ou un parchemin à l'écriture à demi effacée par le temps, c'est, le croirait-on, un rocher.
Le singulier peut-être surprendra. Nombreuse, en effet, sont un peu partout les roches qui gardent, l'empreinte des hommes de la préhistoire. Si St-Pal n'a plus ni dolmen (celui mis au jour au siècle dernier, au lieu dit FONTCLAIRE « la claire fontaine », non loin des GRENOUILLOUX, ayant complètement disparu) ni menhir ou pierre plantée, il n'en conserve pas moins un certain nombre de roches à bassins, écuelles ou sièges : on peut en voir notamment quelques-unes à proximité de la route d'USSON, au sommet du lieu dit la GARDE, l'un des points culminants de la région ; on en peut voir d'autres dans les bois de FRAISSONNET et non loin de MEALLET. Mais le mystère qui plane sur ces curieuses cavités, particulièrement abondantes sur les hauteurs ou au voisinage des grandes voies préhistoriques, telle la BOLENE, est loin d'être éclairci. Des hommes les ont aménagées, en des temps fabuleusement éloignés, c'est certain. Mais dans quels desseins ? S'agissait-il de recueillir, pour sa pureté rituelle, de l'eau de pluies ? La présence de bassins de ce genre sur les bords de l'ANCE, à CHALANCON, le laisserait croire. S'agissait-il plutôt d'offrir des liquides à la divinité, sang des victimes ou lait des troupeaux ? D'allumer des feux de résine pour guider les voyageurs ou transmettre des messages ? Toutes ces suppositions peuvent enfermer une part de vérité. Il est indéniable, par ailleurs, que certains de ces bassins ont servi, plus tard, de mesure pour les grains, tel celui, de la contenance d'un carton, qui se voit à l'Ouest de CHOMELIX, au terroir de la FARGE. Le dernier mot sur la raison d'être de ces mégalithes, en particulier des roches à sièges, ne nous échappe pas moins.
Le rocher que nous allons décrire est de nature différente : nous connaissons et sa destination exacte et l'époque approximative de son utilisation. Il s'agit en effet, de ce qu'on nomme un polissoir.
Nos plus lointains ancêtres n'eurent d'abord d'autres outils ni d'autres armes que des pierres plus ou moins grossièrement taillées. L'industrie postérieure de la pierre polie constitua un réel progrès. De là les noms qu'il est convenu d'appliquer aux époques les plus reculées : Epoque de la pierre taillée, époque de la pierre polie, dite aussi époque néolithique, cette dernière allant approximativement de 5000 à 2500 avant Jésus-Christ.
La technique du polissage exigeait un assez long travail. Le fragment de silex destiné à devenir hache, pointe ou flèche étaient d'abord dégrossis à l'aide d'un autre silex particulièrement dur, puis soumis à un long frottement sur un rocher résistant, aménagé à cet effet. La partie utilisée de ce rocher était, semble-t-il, légèrement enduite d'un sable très fin et maintenue constamment humide. Cette précaution, particulièrement importante, s'est conservée, on le sait jusqu'à nos jours dans l'utilisation de la pierre ou de la meule à aiguiser par les faucheurs, les moissonneurs ou les bûcherons.
Les polissoirs connus sont rares. C'est un privilège pour ST-PAL d'en posséder un fort bien conservé. Il se situe au terroir de PIEYRES au sud du village, entre CHANDIEU, distant d'une centaine de mètres, et la route d'APINAC, dont le tracé, en cet endroit, reproduit celui de l'ancienne voie préhistorique qui s'embranchait sur la BOLENE à la sortie du PONTEMPEYRAT, et par EPINASSOLLES, BRANDY, la VORT, sans entrer à St-Pal, tendait en ligne directe à St-BONNET. Mais son accès, en dehors des périodes de sécheresse, offre difficulté, car si le bois lui-même où il se trouve est surélevé, les abords du côté de la route, sont marécageux. Ce rocher est le CHIER MARTY « Le rocher Martin » (déformé par le cadastre en CHA MARTY, C.62), ainsi appelé du nom de l'Apôtre des GAULES, dont les pieds de la monture auraient imprimé sur le roc les deux profondes entailles qui s'y remarquent.
Nos ancêtres, on le voit, en usaient cavalièrement avec les saints ! Certains peu enclins à admettre une telle familiarité, ont même pensé que ce MARTIN n'était qu'un ancien, et plus ou moins légendaire, propriétaire de l'endroit. En fait, aucun doute ne semble possible. L'attribution à saint MARTIN ou à sa monture des entailles ou des bassins visibles sur certaines roches est générale dans toute la France, et spécialement dans le VELAY et le FOREZ. C'est ainsi que les cavités que portent plusieurs rochers tout au Nord de T'IRANGES, sur une éminence qui surplombe le bourg, sont dites Ecuelles du Diable ou de St-MARTIN, par christianisation de l'attribution primitive. Il est probable que la vieille chapelle St-MARTIN, aujourd'hui à demi ruinée située à quelque distance de là sur la voie antique que tendant au Pont romain et, ensuite, sans entrer à CHALENCON, à St-ANDRE, a dû son existence à un fait du même ordre.
Quant à CHIER, c'est un terme fort ancien, antérieur au gaulois, conservé par nos dialectes, qui existe aussi sous la forme féminine CHEYRE, laquelle est parfois employée en géographie pour désigner une coulée de roches volcaniques.
Le CHIER MARTY Se présente sous la forme d'une masse rocheuse de faible émergence, mesurant dans ces plus grandes dimensions 9 mètres sur 6m20, inclinée en pente douce vers le nord. Ce qui, en elle, a attiré l'attention durant des siècles s'est la présence dans sa partie Est de deux grandes entailles de forme allongées, à peine distantes d'une vingtaine de centimètres. Leurs longueurs atteint 65 centimètres pour l'une (A), 7O pour l'autre (B), tandis que la largeur maximum des deux ne dépassent pas 25 centimètres. Leurs profondeurs, d'une quarantaine de centimètres, et leurs formes resserrées, non moins que la dureté de la pierre polie par le frottement leur permettent de conserver indéfiniment l'eau de pluie. Cependant, si l'entaille Est (A) peut être entièrement remplie, l'entaille ouest (b) ne l'est jamais que jusqu'à une quinzaine de centimètres du bord, cela à cause d'une fente naturelle de la roche, fort bien utilisée d'ailleurs, nous la verrons.
Tel était l'aspect du rocher lorsque, voici quelques années, l'un de nos compatriotes qui consacrait ces vacances, en compagnie de quelques villégiateurs de ses amis, à faire le recensement des mégalithes de la région, et qui savait par expérience que souvent bassins et cupules étaient dissimulés sous de la mousse, voulut y regarder de plus près. Quelle ne fut pas sa surprise de constater que la partie centrale du rocher n'était pas seulement, comme ailleurs, tapissée de mousse, mais qu'ici cette mousse recouvrait une épaisse couche de terre et de pierres fortement serrées les unes contre les autres, certaines d'entre elles d'une nature étrangère aux terrains environnants. L'intervention de l'homme était évidente.
Cette couche enlevée, apparurent d'autres cavités, de faibles dimensions et de formes diverses, elles aussi aménagées à dessein. Aucun doute n'était possible ; il s'agissait là d'autres polissoirs destinés à parfaire les petites pièces, flèches, pointes... Les deux profondes entailles servant à la fois de réservoir d'eau et de polissoirs pour les grandes pièces.
Dès lors, il sautait aux yeux que cette couche de terre et de pierraille devait protéger, après utilisation, contre le gel et le soleil tous ces petits polissoirs, d'une nature plus délicate, et les maintenir dans un état constant d'humidité. Ce vaste atelier, témoin d'un dur labeur, qui ne devait servir qu'à époques déterminées, apparaissait ainsi tel que l'avaient vu une dernière fois, des millénaires plus tôt, nos lointains ancêtres, avant de le recouvrir de son enveloppe protectrice, puis de l'abandonner définitivement, sans doute lors de la vulgarisation d'un outillage de bronze.
Venons-en maintenant au détail. à chacune des grandes entailles est annexé un petit polissoir, qui, en reçoit le trop-plein des eaux. Un canal creusé de main d'homme (B) amène celles de A dans une étroite cuvette de forme ovale et d'aspect gracieux (C), dont l'axe ne dépasse guère une quinzaine de centimètres. La fente naturelle du rocher, que nous avons signalé, (E) onduit celles de D dans un autre polissoir en forme d'entaille celui-là (F).
Au-dessus, dans la partie supérieure de la roche, une dépression médiane longue de quelque trois mètres, inclinée d'ouest en Est a été mise à profit pour constituer une série de polissoirs en cascade, de forme variée, généralement rectangulaire ou carrée (G). Plus bas dans la partie Ouest, quatre autres polissoirs allongés, en forme de rainure, dont la longueur varie entre 80 centimètres (H), 35 (I), 32 (J) et 30 (K). Enfin tout à 1'extrémité ouest, un dernier polissoir ovale (L) reçoit, à l'occasion les eaux de ruissellement de la roche, et semble faire pendant à G, mais sur des dimensions doubles (30 centimètres).
Si l'utilisation de ces différentes cavités, toutes soigneusement recouvertes, ne peut ni faire de doute, par contre le rôle exact de chacune d'elles nous échappe. On serait tenté de songer à une sorte de travail à la chaîne où les objets à parfaire passaient d'un polissoir à l'autre.
Rien que de très positif en tout cela. Mais, chez les anciens, la note religieuse n'était jamais absente. Et il semble bien qu'on la retrouve ici. La roche à polissoirs, en effet, se trouve surplombée, au sud, par quelques rochers dressés. Or, le plus élevé qui atteint 1m10 sur sa face Nord-Est, porte tout au sommet deux écuelles, dont, la plus grande mesure 41 centimètres de diamètre. En fort mauvais état aujourd'hui, la pierre ayant été délitée par le gel, elles n'en restent pas moins fort reconnaissables. L'eau de pluie qu'elles pouvaient contenir ne présentait aucune utilité, si l'on songe à la capacité des grandes entailles. Sans doute ne figurait-elle là, à portée de main, que pour sa pureté rituelle, et serait-on tenté de faire le rapprochement avec l'eau de nos bénitiers.
Une dernière question : quelles indications tirer de l'existence de ce rocher quant à l'occupation du sol plusieurs millénaires avant notre ère ? Des polissoirs de ce genre ne se rencontraient certainement pas à chaque coin de bois. Il est donc possible qu'empruntant le sentier embranché sur la BOLENE au PONTENPEYRAT, ou la voie passant par LAPRAT et LORETTE, des groupes soient venus de loin travailler dans cet atelier à des époques et dans des conditions déterminées. Il n'en reste pas moins vrai que l'atelier lui-même n'a pu être aménagé, puis surveillé, voire utilisé exclusivement (une partie des objets fabriqués étant, en ce cas, vendus ou échangés) que par des groupes fixés dans les environs. Nos lointains ancêtres, on le sait, se tenaient volontiers sur les hauteurs, où ils se sentaient plus en sûreté qu'ailleurs. On verrait volontiers un de ces groupes établis sur la ligne des crêtes qui court de MEALLET à TANLAS, en livrant au regard le plus vaste des horizons, et se prolonge ensuite, en obliquant vers l'Est, jusqu'au suc de CHATUZOU. Ainsi s'expliquerait-on que le plus ancien établissement gaulois de la région se serait situé là.
Plus bas inclusions utilisées pour le polissage.
Problème à résoudre pour confirmer cette hypothèse :