Le voyageur, descendu du car à USSON qui se proposerait de gagner St-PAL à. pied, en empruntant après CHASSAGNOLES, l'ancienne route, devenue coursière, ne se douterait sans doute pas que, sur plus d'un kilomètre, il va côtoyer, à droite, le territoire de St-PAL et par conséquent la Haute-Loire, à gauche, le territoire d'USSON et par conséquent la Loire. Ce n'est qu'en franchissant le petit pont de FRAISSONET qu'il entrera franchement dans la Haute-Loire. Sera-t-il pour autant passé du Forez en Velay ? Le problème est complexe.
L'expression d'USSON en FOREZ n'a pu manquer de frapper notre voyageur. Le déterminant, faut-il le dire, comme tous ceux de ce genre, y est d'ordre purement administratif, destiné qu'il est à distinguer en pratique, cet USSON d'un autre, situer, lui, en Auvergne, à quelques kilomètres, à l'Est d'ISSOIRE, et d'une, étymologie, toute différente. C'est au sommet de cet USSON là que se dressent les ruines du vieux château fort qui abrita, 18 ans durant, l'exil de la reine Margot, la trop volage soeur des derniers Valois, mariée contre son gré au futur Henri IV, et où cette princesse, d'une culture raffinée, réunit autour d'elle une brillante cour de poètes, d'artistes, de lettrés.
A y regarder de près, le déterminant "en Forez" ne correspond qu'à demi à la réalité. En fait, jusqu'en 1790 USSON et St-PAL ont eu la même appartenance, et l'un et l'autre, tout comme ESTIVAREILLES, APINAC et MERLE, n'ont cessé d'être depuis l'époque gauloise jusqu'en plein moyen âge, d'authentiques terres vellaves. On sait, en effet, que l'église a calqué ses divisions, territoriales sur celles des cités gallo-romaines et, durant des siècles, ne les a que très exceptionnellement modifiées. Or, jusqu'à la Révolution, toutes ces paroisses, bien qu'elles aient été rattachées au Forez, n'en continuèrent pas moins de relever du diocèse du PUY. USSON, St-PAL et APINAC étaient trois prieurés de la CHAISE-DIEU, réunis en un seul groupe dès la fin du XVII° siècle, afin de réduire les dépenses d'administration.
La frontière séparant les vellaves les Ségusiaves, devait être formée par la crête rocheuse qui court du Sud-est au Nord-Ouest entre Estivareilles et St-BONNET. A l'Ouest, les Arvernes n'étaient pas loin. USSON, par sa position, constituait un centre d'échange tout désigné entre les trois peuplades gauloises, conformément à l'étymologie de son nom : le domaine marché d'ICCIOS.
St-PAL, USSON, ESTIVAREILLES continuèrent à partager jusqu'au XII° siècle les destinées du Velay. A cette époque, on le sait, les rois de France s'efforçaient peu à peu de rétablir le pouvoir comtal au profit des évêques du Puy, moins dangereux à leurs yeux pour l'unité du royaume que de grands vassaux laïques. Mais l'attirance du puissant comté de Forez état forte sur les seigneuries voisines. Elle s'exerça, d'abord, comme il était normal, sur celles d'USSON, d'ESTIVAREILLES et d'APINAC. Pour les deux premières, l'inféodation au Forez était chose faite, semble-t-il, dès la fin du XII° siècle. Aussi bien les seigneurs les plus anciennement connus d'USSON étaient les de BAFFIE, et ceux-ci n'étaient pas de souche vellave. Vers 1096, Guillaume de BAFFIE, évêque de CLERMONT, est donné comme seigneur de VIVEROLS et d'USSON. Après lui, la terre d'USSON dut revenir à un autre cadet de la famille, qui s'y fixa, y fit souche et en prit le nom. C'est ainsi qu'en 1248 Guillaume d'USSON partit à la 7e croisade. L'inféodation de leur seigneurie au comte de Forez fut sans doute l'oeuvre de l'un de ces d'USSON.
St-PAL, lui nous l'avons expliqué fut placé sous la suzeraineté du comte RENAUD en 1264, par Bertrand de CHALENCON. Cette inféodation, si elle ne comporta que de légers désagréments pour quelques villages de St-PAL, fut, au contraire, désastreuse pour USSON qui servit de monnaie d'échange entre le comté de Forez et le comté d'Auvergne dans la délimitation de leurs frontières. Toute la partie occidentale, non seulement de la paroisse, mais même du bourg fut englobée dans l'Auvergne, seuls le clocher et le reste du bourg et de la paroisse relevant du Forez. Un acte de 1340, portant vérification des limites établie longtemps auparavant entre les deux provinces, nous précise la position de 9 bornes dans les environs d'USSON et à USSON même. L'une d'elles se voit encore, non loin de la chapelle de Notre Dame de CHAMBRIAC, en bordure de l'ancienne route qui représente le tracé de la Bolène. écartèlement, on en conviendra, bien pénible. Une de ses conséquences, fut le transfert des marchés à VIVEROLS. Ils ont eu de la peine depuis à se réacclimater à USSON. étrange paradoxe pour un bourg dont la vocation originelle, inscrite dans son nom, était d'être un marché !
Le rattachement féodal au Forez n'entraîna pas d'emblée le rattachement juridictionnel et judiciaire à cette province. Les baillis de Velay n'entendaient pas abandonner leurs droits qui étaient ceux de la justice royale, sur les paroisses du diocèse du PUY. Les comtes de Forez eurent alors recours à un subterfuge : Ils créèrent pour les paroisses détachées du Velay une cour d'appel intermédiaire, dite cour des ressorts du Velay, dépendant théoriquement du bailliage de Velay, mais dont eux-mêmes nommeraient les magistrats. Le siège de cette cour d'appel fut établi d'abord à BOST-BUISSON ou plutôt à BOST-JAUFFREY ; il s'y trouvait encore au milieu du XIV° siècle. Il fut ensuite transféré au CHAUFFOUR, paroisse d'ESTIVAREILLES, puis en 1665 à St-BONNET.
Les baillis de Velay tentèrent de réagir, en se réservant au moins les seconds appels. De là d'interminables contestations. Elles ne prirent fin qu'en 1465, par décision de Louis XI qui, désireux de s'assurer les bonnes grâces du duc de Bourbon, comte de Forez, enleva toute compétence aux baillis de Velay sur les fiefs foréziens. Durant plus de trois siècles, St-PAL et une partie d'USSON restèrent donc entièrement intégrés pour le temporel à la province de Forez.
Leur destinée se sépara au début de la révolution. La délimitation des nouveaux départements n'alla pas sans intrigues, chaque chef-lieu voulant s'assurer le plus grand nombre de communes. Dès la fin de 1789, des envoyés partirent du PUY pour aller faire de la propagande auprès des municipalités situées au Nord de 1'Ance. A USSON, ESTIVAREILLES et APINAC, ce fut 1'échec. Au contraire les délégués furent très bien reçus à St-PAL par François-Marie de Vissaguet qui leur promit d'user de toute son influence pour décider ses compatriotes à demander leur rattachement à là Haute-Loire.
St-PALou de fraîche date, ce François-Marie de VISSAGUET était le petit-fils d'un notaire de BONNEFONT, paroisse de St Victor. Tandis que le cadet, Jean-Baptiste, recueillait la charge paternelle et se donnait le luxe d'avoir de ses deux épouses une vingtaine d'enfants, l'aîné, Antoine, était venu s'établir à St-PAL à la suite de son mariage, en 1754, avec une riche héritière, Catherine FRAISSE. Dix ans plus tard, il acheta la seigneurie de CHOMELIX le Haut, après acquis déjà, semble-il, celles du BOUCHET et du ROURE. Paré de ces titres, il devint sans trop de peine subdélégué de Monsieur l'Intendant, fonction que lui attribue l'Almanach du Lyonnais de 1775.
Non moins ambitieux que lui, son fils aîné François-Marie, à qui son père réservait la seigneurie de CHOMELIX, comprit que son intervention en faveur des envoyés du PUY lui serait comptée. Elle le fut en effet. élu membre de l'Assemblée départementale, il fut aussitôt choisi comme 1'un des 8 directeurs qui coiffaient cette assemblée. Et lorsque le procureur général syndic en exercice préféra démissionner plutôt que de se prêter à l'élection d'un évêque intrus, le zèle que déployait François-Marie en faveur des idées révolutionnaires lui valut de lui succéder. Devenu ainsi, en fait, le maître de l'administration départementale, il porte devant l'histoire une lourde part de responsabilité de la mise en train de la persécution religieuse en Haute-Loire. Disons cependant à sa décharge qu'il démissionna en 1792, après les massacres de septembre. Il alla, dans la suite, habiter St-BONNET où il ne laissa, à sa mort, qu'une fille. Mais par un curieux chassé-croisé, l'un de ses cousins, Jean Victor VISSAGUET, le onzième des enfants de Jean-Baptiste, vint en 1802, par suite de son mariage avec Catherine ARDAILLON, se fixer à St-PAL, où il exerça la profession de tourneur et fit souche.
Au début, le rattachement de St-PAL à la Haute-Loire parut lui être bénéfique. La nouvelle commune fut choisie, dès 1790, comme le chef-lieu d'un canton englobant BOISSET, TIRANGES, St-ANDRE et SOLIGNAC. Cela dura dix ans. Puis, en 1801, un décret des Conseils supprima purement et simplement ce canton et le rattacha à celui de BAS. De nombreux voeux en faveur de son rétablissement furent émis dans la suite par le Conseil municipal. Ce fut toujours en vain.
Et l'ère des épreuves commença...
Victime sous 1'ancien régime de son écartèlement entre deux provinces, USSON entendait bien prendre sa revanche. Ce devait être, en bonne partie, au détriment de St-PAL. Mais USSON avait pour lui l'appui du puissant Conseil général de la Loire, en face duquel celui de la Haute-Loire ne faisait pas le poids.
Cela débuta par la route. Depuis toujours la liaison directe entre St-BONNET et le PONTEMPEYRAT s'était effectuée, comme il était normal, par le territoire de St-PAL : ancien chemin courant droit devant lui par APINAC, la VORT, le MOULARD, BRANDY et éPINASOLLES, puis voie romaine contournant BOST-BUISSON, donnée aux XVI-XVII° siècle comme "le grand chemin de LYON à TOULOUSE", enfin, à partir du XVIII° siècle, route de St-PAL à APINAC, formant un segment de la route du PUY à MONTBRISON et BOEN, avec embranchement sur LYON par St RAMBERT.
La commune d'USSON entreprit de s'adjuger cette liaison. Elle décida donc, pour adoucir la rampe du PONTEMPEYRAT, de construire sur quelque 3 kilomètres un nouveau tracé par les FONDS, comportant un interminable tournant, source à notre époque de nombreux accidents. A la suite de quoi, la route du PUY à St-BONNET et BOEN fut déviée par USSON et ESTIVAREILLES. Le tronçon d'APINAC à St-PAL fut déclassé et cessa même longtemps d'être entretenu. On voit si les intérêts de St-PAL étaient bien défendus ! Le Conseil municipal ne pouvait que constater mélancoliquement, en 1843, que "la position de St-PAL avait été faussée par l'établissement de la route de St-BONNET à CRAPONNE par USSON, route plus longue et qui avait contre elle d'avoir enlevé des droits très anciens".
Ce n'est pas tout. Le nouvel itinéraire établi, la Loire cessa totalement d'entretenir l'ancien tronçon, correspondant à la voie romaine, qui descend la côte du PONTEMPEYRAT par un majestueux circuit d'une excellente visibilité. St-PAL devrait-il cesser toute communication avec CRAPONNE ? Où irait-il entretenir à ses frais 800 mètres de route sur le territoire d'USSON ? La préfecture de la Haute-Loire considérait la situation avec une indifférence amusée. La municipalité d'USSON, non sans humour, fit proposer l'échange de 167 hectares de terrain ; ainsi, en restaurant l'ancienne route, St-PAL aurait-il la satisfaction de s'en sentir en partie riverain. Le conseil municipal taxa cette offre d'absurde. Réflexion faite, la solution la moins onéreuse lui parut être d'établir un raccord entre la route de St-PAL et les FONDS. C'était allonger considérablement la distance, mais que faire d'autre ? De ce raccord la commune dut supporter tous les frais. Le tour, on le voit, avait été bien joué.
Il le fut mieux encore, 40 ans plus tard, lors de l'établissement de la ligne de chemin de fer. Le tracé direct devait primitivement se faire à mi-chemin entre USSON et St-PAL. Mais, USSON avait obtenu un détour à son profit de la route ; il obtint sans plus de peine un détour de la voie. Du moins la municipalité s'efforça-t-elle de faire placer la gare à l'endroit le moins éloigné de St-PAL, près du Pont d'EPINASSE. USSON tint bon, en alléguant les intérêts d'APINAC. St-PAL répliqua en opposant ceux des usagers éventuels, beaucoup plus nombreux, de St-PAL et des communes voisines. En vain ! Le dénouement ne pouvait qu'être celui de la fable du Loup et de l'Agneau.
Il ne restait plus à USSON pour achever de ruiner son rival que de détruire ses marchés dont il était fier et rappelait volontiers qu'ils remontaient à 1402. Il s'y employa sans tarder. Il avait obtenu aisément la concession d'un marché le jeudi, mais le jeudi suivait de bien près le mercredi. Ne serait-il pas mieux de tenir le marché le même jour que St-PAL ? L'autorisation, évidemment, ne pouvait en être donnée. Eh bien ! On se passerait d'autorisation. Un différend survenu à St-PAL entre les coquetiers et les placiers fournit l'occasion. L'impudence ne connaissait plus de bornes.
Cette fois, le Conseil municipal de St-PAL vit rouge. Réuni en séance extraordinaire le 22 février 1891, et informé par le maire, M. MOSNIER, qu'un marché illégal s'était tenu sur la place publique d'USSON les mercredis 11 et 18 février précédents, que la municipalité s'était appliquée à y détourner la plupart des coquetiers qui se rendaient à St-PAL, il décida, si le fait se renouvelait, de poursuivre en correctionnelle la commune d'USSON en la personne de son maire, en vertu de l'article 291 du Code pénal, punissant d'amende et de prison tout fauteur de rassemblement défendu. La municipalité d'USSON comprit qu'elle était allée trop loin. Elle fit marche arrière, le Conseil de St-PAL fit droit aux revendications des coquetiers, et tout rentra dans l'ordre.
Plus tard, USSON obtint le transfert de son marché au mardi. Ce déplacement ne produisit guère d'effets, et l'on doit à la vérité de dire qu'USSON n'a pas eu de part dans la décadence des, marchés de St-PAL : l'ambiance actuelle, le laisser-aller y ont suffi.
Retiré à St-BONNET, qui l'avait élu maire, toutes attaches rompues avec son pays natal, François-Marie de VISSAGUET n'eut-il pas le sentiment de s'être trompé en liant sa fortune et celle de St-PAL à la Haute-Loire ? On peut se le demander.